Celyn était assise sur son lit, recroquevillée dans un coin, les genoux relevés sous son menton. Elle maintenait ses ailes plaquées contre le mur, et lisait un livre. Il s'agissait d'un roman d'amour qui l'ennuyait terriblement, mais elle était décidée à aller jusqu'au bout. Depuis son retour dans le monde civilisé, la lecture faisait partie des choses qu'elle avait découvert et immédiatement aimé. Au début, elle avait eut du mal. Il lui fallait faire appel à des souvenirs douloureux datant d'avant ses onze ans ; l'orphelinat, les classes de gamines qui s'écartaient sur son passage, la solitude... Mais il fallait croire qu'elle avait eut de bons professeurs, à l'époque. Ou, manquant d'amis, un large temps pour pratiquer. Toujours est-il qu'au bout de deux semaines, Ciel parvenait à lire des livres comme n'importe qui. Voir plus vite que certains étudiants de Blackstone.
La jeune mutante tourna rapidement les pages qui lui restait, calculant. Elle jeta un coup d'oeil dehors. Le soleil éclairerait probablement la cour pour encore une heure et demi, peut-être deux. Ca valait le coup.
Elle marqua sa page et lança le livre dans son sac, un simple cabas de tissus qu'elle pendait à son épaule. Elle enfila une paire de baskets et un pull si large que ses ailes sortaient par le col, et sortit de la chambre en souriant. Elle parcourut rapidement quelques couloirs, quelques escaliers, croisa quelques visages familiers qu'elle salua d'un sourire, rarement d'une parole, et se retrouva à l'air libre dans la cour de Blackstone. Généralement, elle préférait le parc qui, de par sa verdure, lui rappelait vaguement ses forêts, mais elle devait avouer que ce lieu était tout de même bien agréable. Elle s'assit à même le sol, dos à un arbre, posa son sac à côté d'elle et en sortit son livre. Elle se mit en tailleur bien qu'elle soit vêtue d'une mini-jupe en jean, ignorant royalement que cela pouvait être impudique. De toute façon, elle portait également un collant de laine opaque. Elle inspira profondément et posa les yeux sur les lignes de mots noirs sur le papier blanc.

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Edmond était en train de poser délicatement ses lèvres sur celle d'Achille pour la première fois, il frissonait d'aise et de terreur tandis que son ami répondait à ses avances. Leurs mains s'agrippaient au visage de l'autre, et Edmond recula le visage pour observer son amant. C'était la première fois qu'il se permettait d'admirer un homme et de le trouver beau, aussi le lui dit-il : « Achille, ton regard me fait frémir, tes lèvres me donnent faim ! » Achille lui sourit tendrement, lui qui avait l'habitude d'aimer des hommes. Doucement, il tira vers lui son compagnon. L'air se rafraichit et les pages du livre se gelèrent sous les doigts soudain bleuis de Celyn. Elle leva la tête de son ouvrage et des baisers enflammés d'Edmond et d'Achille. Elle fronça les sourcils sans comprendre. Elle avait pourtant calculé son coup et était certaine que le soleil ne pouvait pas avoir disparu aussi vite. Elle en aurait presque tremblé de froid si elle n'était pas habituée à toutes les températures possibles. Elle avait bien passé quelques jours en Antarctique, alors bon, quelques degrés de moins dans l'atmosphère... Cela dit, le duvet de gel qui l'entourait tout à coup n'était pas à son goût du tout. Elle se leva donc en rangeant le bouquin au fin fond de son sac et partit chercher l'origine de cet étrange phénomène.
Bientôt, son regard se posa sur le seul garçon qui n'avait pas l'air dérangé par le changement de température. Pieds nus, jambes à l'air et chemise ouverte, yeux clos, il semblait même apprécier le froid, l'accueillir en lui comme une bénédiction. A pas lents, Ciel s'avança vers lui. Elle devait bien avouer que les pouvoirs de ses camarades avaient quelque chose de fascinant. Certes, elle râlait sans arrêt et se plaçait volontiers en martyr, expliquant sans cesse que malgré leurs différences, eux avaient l'air normaux. Dans le fond, elle les enviait parfois. Elle enviait les relations qu'ils nouaient avec les professeurs qui leur apprenait à contrôler leur pouvoir, elle enviait leurs capacités hors-normes. Elle se sentait toujours exclue, même parmi les exclus. Son don à elle était différent, encore et toujours.
Mais ce garçon qui faisait venir le froid, il l'intriguait. Il arborait la dégaine d'un surfeur californien et était ami des températures fraiches. Décalage comique peut-être, paradoxal surement, et qui arracha un sourire à la rouquine tandis qu'elle s'approchait encore du jeune mutant. Comme une brute qu'elle était, Ciel se laissa tomber à côté du garçon et leva les yeux, imitant sa posture à lui. Un sourire de gamine émerveillée collé au visage, elle observait les effets ravageurs du pouvoir de ce garçon sur l'environnement. « C'est toi qui fait tout ça ? » lança-t-elle. Question foutrement inutile puisqu'elle en savait bien la réponse, mais il paraît qu'il faut un premier contact, dans une discussion. Comme quand une fille lui avait demandé si ses ailes étaient réelles et si elle pouvait voler. Ben, non, j'aime bien me balader avec des fausses plumes collées aux omoplates, c'est pas du tout encombrant, tiens. Puis elle avait compris que c'était une façon de l'aborder et de lui montrer de l'intérêt. Que c'était gentil, somme toute, ce qu'elle avait encore du mal à comprendre. Toujours sur la défensive, elle croyait d'abord qu'on se moquait d'elle ou qu'on la prenait pour une fille bizarre avant d'accepter l'idée qu'on puisse simplement trouver ça cool ou intéressant.

Le froid avait rapidement traversé les habits de Celyn, même si son collant était de laine, et elle avait les fesses gelées, quasiment littéralement. Si ça n’avait tenu qu’à elle, elle se serait probablement relevé immédiatement pour se frotter vigoureusement l’arrière-train, mais d’une part, c’est impoli, et d’autre part, elle était scotchée par ce qu’il se passait autour d’elle. Trop scotchée pour bouger.
Sauf quand l’instinct de survie prend le dessus. Lorsqu’elle sentit que le sol commençait à changer, à n’être plus seulement froid mais à durcir également, lorsqu’elle vit autour d’elle les pics de glace qui se formaient, pointus, aiguisés, dangereux, et lorsqu’elle fit le rapprochement avec l’imperceptible vibration du sol juste là où elle se trouvait : à ce moment-là, ses réflexes prirent le dessus. Au moment où le pic de glace sortit du sol, là où quelques secondes plus tôt se trouvait sa jambe gauche, Celyn se trouvait à un mètre du sol, les ailes déployées et tendues, anxieuse. Son souffle s’était accéléré et de la fumée blanchâtre se formait devant ses lèvres à la vitesse de son halètement de peur. Elle fusillait des yeux le garçon à l’origine de ce phénomène. Mais avant qu’elle n’ait le temps de lui mettre un kick dans sa tronche et de l’insulter de tous les noms qu’elle connaissait, la jeune sauvage fut prise de court par ce regard perçant qu’il posait sur elle, sur ses ailes, et par son geste. Au moment où ses doigts effleurèrent les longues plumes blanches de ses ailes, Ciel s’éleva encore de deux mètres au-dessus du ciel. Si elle n’avait pas craint une attaque de pic à glace, elle l’aurait cette fois probablement tabassé à mort. Mine de rien, c’est fort et féroce, cette bestiole-là.
Mais le garçon n’avait pas l’air méchant. Il avait retiré prestement sa main face à la réaction de la rouquine, affichait une expression désolée. Sa voix douce surprit Celyn qui était tout à son énervement. De plus, il semblait s’inquiéter pour elle. Une première, tiens. Doucement, la demoiselle amorça une descente vers la terre ferme. Enfin, pas si ferme que cela puisqu’elle était glissante à cause de la glace.

Elle avait fait non de la tête pour lui signifier qu’elle allait bien, mais elle avait bien vu qu’il l’avait détaillée pour vérifier ça par lui-même. Alors qu’elle allait lui faire une remarque quelconque et sans importance – elle savait que ses silences avaient tendance à énerver certaines personnes ou à mettre mal à l’aise – le jeune homme se mit à parler, beaucoup. Beaucoup pour Celyn, du moins. Et puis, il passait vraiment du coq à l’âne ! Sans prendre la peine de répondre à sa dernière question, la gamine commença à déverser des mots sur le pauvre homme. « Ca c’est maladroit ? C’est, c’est trop cool mais t’as failli me percer la jambe espèce de dingue ! Comment tu fais ? Oh, ouais, tu n’sais pas ce que c’est. » Référence à ses ailes. Certes, elle n’était pas dangereuse pour autrui. Mais elle ne pouvait côtoyer personne à part les jours de carnaval. Merci bien. « Au fait, tu parles trop vite, j’ai pas eu le temps de saisir. J’apprends, tu sais, à discuter, alors, steuplait, une idée à la fois hein ! » Elle lui sourit. Comportement des plus étranges de la part de Celyn qui se découvrait boute en train, confiante, bavarde… Ce garçon avait le don de la mettre à l’aise, semblait-il. Et elle voulait tellement en apprendre plus sur son pouvoir. Elle marqua un silence et sembla partir ailleurs, dans le tréfonds de ses pensées. Soudain, elle se tourna vers lui : « Ah, oui, euh, j’m’appelle Ciel. Enfin, Celyn, mais appelle-moi Ciel. » Elle saisit la main tendue d’Andrew et la secoua vigoureusement. Elle ne comprenait vraiment pas cette coutume mais s’appliquait soigneusement à la respecter. Bien qu’elle continuât à la trouver des plus étranges, ce qui devait se voir à son petit froncement de sourcils presque comique. Elle s’avança ensuite vers l’un des pics de glace qui était toujours érigé, à quelques petits mètres d’eux. Elle mit ses deux mains dessus et tenta de le casser, mais c’était froid. Cela lui arracha un gémissement tandis qu’elle se frottait les mains et soufflait dessus dans l’espoir de les réchauffer. Quelques secondes plus tard, elle réitéra : cette fois, elle était préparée. Au bout d’une lutte d’une dizaine de secondes, le pic lâcha son socle et Ciel le tira vers elle, chutant comme un pingouin, sur le dos, sur la glace. Le pic en sureté dans ses mains. Surtout, s’accrocher au butin.

Les quatre fers en l'air, Ciel devait avoir l'air ridicule. D'ailleurs, il lui sembla vaguement entendre un rire qui venait de loin, d'autres élèves qui passaient par là. Mais la demoiselle n'en avait strictement rien à faire. Sans prendre la peine de se relever, elle regardait avec fascination le pic de glace qu'elle tenait entre les mains. Ce n'était pas une illusion : elle avait eut froid, elle avait lutté avec la dureté de la matière, elle avait vaincu et le baton vulgaire existait toujours. La voix du garçon la tira de sa contemplation, ce que n'était pas parvenu à faire son rire. Il allait fondre ? Pour le coup, la rouquine fut déçue, et elle le montra par sa mine désappointée. Elle attrappa la main tendue d'Andrew en lachant enfin son trésor. S'il n'était qu'éphémère, ça l'intéressait déjà beaucoup moins. Elle se frotta les bras quelques secondes tout en le fusillant du regard. « Une toute petite chute comme celle-là, me faire mal ? » Si elle avait eu cette habitude, elle aurait surement lancé un « pff » méprisant, mais elle se contenta de lever les yeux au ciel. De là-haut, justement, elle était déjà tombé. Ca, ça faisait mal. Un peu.
Face aux vantardises du créateur de pics à glace, Celyn se concentra afin de trouver un motif le plus difficile possible à réaliser. Un instant, elle songea à lui demander un cerveau, mais se rendit compte avant que les mots ne franchissent ses lèvres que ce pouvait être assez morbide. Un animal, c'était trop simple. Une fleur, c'était cliché, il avait du s'entrainer des centaines de fois. Surtout qu'il semblait bien à l'aise dans le petit jeu qui s'installait lentement entre eux. Il fallait que ce soit minutieux, que les détails comptent. Elle finit par se résigner à quémander un scarabée. C'était joli, un scarabée, et la brillance de la glace au soleil – l'astre brillait toujours au dessus de leurs têtes – pouvait s'approcher de l'aspect mordoré de leur carapace. Au moment où Andrew recommençait à parler, beaucoup trop et bien trop vite, un simple mot franchit les fines lèvres roses de Ciel. « Un scarabée. »
Mais elle avait tout de même entendu ce qu'avait dit le jeune homme. Tout à coup sur la défensive, elle se redressa et se recula en fixant le garçon. C'était quoi ces faux compliments ? Ca sonnait creux. Et puis, il se permettait facilement des demandes extrêmement intimes. Il fallait vraiment que Ciel vous eût dans la peau pour accepter de vous porter dans les airs, à moins que le danger ne soit imminent et réel. Pour que la sauvageonne juge un danger réel, il en fallait beaucoup. Soudainement agressive, sa tignasse rousse semblait une crinière de feu, son regard paraissait lancer des éclairs et l'on eût put s'attendre à ce que des griffes de métal dignes de Wolverine sortent de ses petits points crispés. « Nan mais ça va pas ? » Elle hésitait entre méfiance, colère et violence. Elle était loin, à cet instant, de tout rationnalisme, et il était inutile de chercher à lui faire comprendre qu'Andrew ne pensait pas à mal. Il avait attenté à sa dignité. « Et puis quoi encore ? J'peux être ton moyen de transport tant qu'on y est nan ? » 

Tendue. Ciel l'était, du sommet de son petit corps à la plante de son doigt de pied le plus proche du sol. Ses cheveux se dressaient presque sur sa tête tant la tension était présente dans chaque atome la constituant. Son regard papillonait sur celui qu'elle considérait à cet instant comme son adversaire. Elle remarqua donc bien rapidement que son comportement avait un effet notoire sur le jeune homme : ses doigts brillaient de l'éclat caractéristique de la glace. Elle comprit finalement qu'il avait le don de créer de la glace à partir de rien. Magnifique. Pour autant, il n'avait pas le droit de faire de telles requêtes, et elle ne retomberait pas dans le piège. Si lui considérait qu'il pouvait prostituer son pouvoir et lui offrir un scarabée gelé, tant mieux. Elle, pour sa part, ne porterait personne dans les airs tant que le besoin n'en serait pas réel.
Les excuses du garçon firent leur chemin dans l'esprit de la rouquine. Elle se relacha légèrement, mais flottait encore à quelques dizaines de centimètres du sol, signe qu'elle ne lui faisait pas entièrement confiance. Ses ailes étaient ainsi déployées dans son dos, immenses et blanches. De temps à autre, elles effectuaient un petit mouvement presque imperceptible pour la maintenir à distance du sol et d'Andrew. « Eh bien, sache que je ne suis pas une friandise et que tu ne m'auras pas en payant ou en réclamant. » Son ton sec se calma sur la fin de sa phrase. Elle fixait toujours le visage du jeune homme et sourit avec lui lorsqu'il exprima son incapacité à lui faire un scarabée en glace. « La prochaine fois, tu réfléchiras donc avant de te vanter comme ça ! » Elle se détendait petit à petit. Il avait une sorte d'aura qui la mettait à l'aise.. « Fais moi donc un beau visage et on verra si ça me convainc. » Elle atterit doucement sur l'herbe gelée, à quelques centimètres de lui. Désormais pour le regarder, elle devait lever légèrement la tête.
Elle accepta le compliment sans le lacher du regard. Elle fixait les iris bleutées du créateur de pics avec un sérieux troublant. A n'importe qui d'autre, elle aurait probablement fait peur. Elle ne souriait plus, ses poings étaient toujours serrés mais son corps était détendu, ses ailes étaient déployées mais ployaient sous leur propre poids, les plumes les plus basses trainaient aux cotés des pieds de Ciel sur le sol froid. Elle ne prit même pas la peine de répondre à la proposition d'Andrew et se dirigea, comme il l'avait suggérer, vers la Cafétéria. Elle s'arrêta au bout de quelques pas et se retourna, hésitante. « On va à la Cafèt', n'est-ce pas ? » Son regard si net, si perçant, s'était troublé. « Tu n'as pas de thé au citron dans ton pantalon ?.. Tu ne sais faire que des trucs en glace pas vrai, tu ne peux pas créer un muffin ? »